Sur l’île-continent , les plantes , vieilles comme le monde , exhalent des parfums aussi rares que précieux . Des fragances aujourd’hui menacées qu’une poignée d’idéalistes récoltent pour les plus grands parfumeurs .
Et pour l’avenir de l’humanité .
Ici , la forêt primaire abrite des plantes dinosaures vieilles de 120 millions d’années . Les plus anciennes familles de plantes à fleurs au monde ! Aromatique mais aussi médicinal , cet << or vert >> représente un patrimoine exceptionnel . Déjà , dans Le Devisement du monde , publié vers 1298 , Marco Polo évoque la biodiversité malgache . Le célèbre navigateur vénitien s’est fait raconter par des marins arabes un voyage entrepris dans les immenses étendues de l’île Rouge .
Entre les << archipels sidéraux >> (Rimbaud) et les hautes terres en latérite vermillon , ils ont vu un continent . Dans les ptofondeurs de la forêt primaire , là où << s'émiettent des panoplies de phasmes et de vanesses >> (Saint-John Perse) ils ont découvert un << sanctuaire de la nature >> . Là où les saisons rythmées par d’étranges pics hygrométriques succèdent à la sécheresse , où l’euphorbe voisine avec l’arbre du voyageur , ils ont trouvé une terre d’exception , véritable éden écologique .
Hélas , deux mille ans de déforestation ont eu raison d’une grande partie de la forêt pluviale qui recouvrait l’île . Selon certains biologistes , cette catastrophe écologique met en péril la décuverte des médicaments de demain . La steppe et la savane règnent aujourd’hui sur une immense partie du territoire . Seuls quelques lambeaux de forêt primaire subsistent , quand ils ne sont pas balafrés par les lavaka , ces sillons de latérite rouge où s’engouffrent les eaux de pluie . Si la tendance ne s’inverse pas , les scientifiques prédisent la disparition du couvert forestier d’ici à quinze ans . Pourtant , malgré les 250 000 hectares de forêt qui partent en fumée chaque année , victimes des cultures sur brûlis (la peste malgache) , le trésor vegetal de Madagascar continue de fasciner botanistes , naturalistes et collecteurs d’essences naturelles et d’huiles essentielles .
Pour les habitants de Nosy Be , il s’appelle M. Fabien. Un métis ombrageux , peu disert , reconverti récemment dans la collecte et la distillation d’ilang-ilang . Sa distillerie a des allures d’atelier clandestin . Situé au creux d’un vallon , le laboratoire est ceint de 15 000 pieds d’ilang-ilang . Dans les plantations , la grâce des cueilleuses d’origine comorienne , les Boenis , s’accorde avec l’élégance de la reine des fleurs de l’hémisphère Sud . D’une main experte , les femmes recueillent les précieuses corolles aux reflets or et safran . Jusqu’à 10 kilos par jour . Dans un alignement baroque , les alambics semblent dater de l’époque des pères missionnaires jésuites , pionniers de la distillation de plantes aromatiques à Madagascar en 1898 . Ici , la technologie est la même que celle des parfumeurs d’Alexandrie dans l’Antiquité . Rien n’a changé . Entre magie et alchimie , il s’agit d’extraire la quintessence de la plante aromatique , d’en capturer ses substances les plus volatiles , de recueillir les molécules tant convoitées dans de petites fioles . L’<< extra >> , considéré comme l’élixir absolu , est vendu 110 euros le kilo !
A quelques encablures de l’île de Nosy Be , au-delà des eaux turquoise du canal de Mozambique : Grande Terre . Une succession de pistes somptueuses pénètre un autre royaume de senteurs . Ilang-ilang , vanille , vétiver , tagette sont cultivés pour leurs huiles essentielles . Sous les frondaisons inégales des fromagers , flamboyants , palmiers plume et autres grands tsingys , la nature s’exprime dans son éclatante diversité . Stéphane Rey , fringant responsable de la société Biolandes , gère 850 hectares de terre dédiés aux plantes aromatiques . Ici , point d’alambic de brousse . L’extraction est faite par solvants dans une usine dernier cri . Une méthode industrielle qui permet d’obtenir une qualité constante des marques universellement cunnues , mais aussi les derniers parfumeurs à utiliser encore des matières premières naturelles . Ainsi l’ilang-ilang est-il indispensable à la fabrication du fameux N°5 . << Les sociétés grassoises (grasse , capitale du parfum , ndlr) ont perdu leur âme , regrette Stéphane Rey . Leur exigeance en matières premières naturelles n'est plus une préoccupation majeure . Les ptoduits de synthèse se sont substitués aux fleurs , agrumes , rhizomes , racines ... A titre d'exemple , les Japonais travaillent à un nouveau substitut de la vanille à partir d'une molécule découverte ... dans la bouse de vache !
Des fleurs pour guérir
Une charrette rtactée par des zébus pénètre dans l'enceinte de l'usine avec son chargement de vanille verte . Stéphane Rey contrôle leur fraîcheur , avant de fondre à grandes enjambées sur le centre névralgique des opérations de distillation . Pour cet agronome , le respect du terroir n'est pas un vain mot . L'absence de pesticides et de traitement chimique des sols garantit la pureté des essences obtenues . Au même titre que le vin , la qualité d'une huile essentielle dépend de la manière dont la plante aromatique a été traitée . Sous l'ombrière géante , les gousses de vanille verte sont bichonnées par des mains délicates chargées de féconder les fleurs . Au pays des mille espèces endémiques d'orchidées , la plus célèbre d'entre elles , la vanille , aurait des propriétés anti-vieillissement . C'est ici qu'une marque de réputation planétaire vient faire son marché pour élaborer une crème de jouvence à l'attention des coquettes fortunées .
Autre lieu , autre chercheur d'or vert . Les réserves de Vohimana et Vohibola n'ont aucun secret pour Olivier Behra .Cet homme mûrit un véritable projet de développement durable . Ancien spécialiste des crocodiles , cette incarnation d'Indiana Jones à la française lutte , depuis 1993 , contre la déforestation via son association franco-malgache L'Homme et l'environnement . Le tavy-culture sur brûlis-est un véritable fléau , à Madagascar . Pour changer le regard des Malgaches sur leur patrimoine végétal , Olivier leur apprend à << regarder la forêt autrement que des cendres pour leurs cultures >> . En 2003 , il obtient de l’Etat la gestion de ces deux réserves de 2 000 hectares qui comptent un bon millier d’habitants chacune . Sa mission : reconstituer le corridor forestier en intégrant les populations locales au programme de conservation et de sauvegarde des espèces végétales menacées . Pour y parvenir , l’ONG a développé une entreprise de production d’huiles essentielles et une société de recherche sur les plantes médicinales . En véritable pionnier de la nature , Olivier Behra vient d’identifier 134 plantes médicinales . Parmi celles qui sont susceptibles d’ouvrir de nouvelles perspectives , citons la poudre de katrafay , que les femmes malgaches et comoriennes utilisent dans la cosmétique rituelle . Des Japonais ont tenté de déposer unbrevet pour s’approprier l’exploitation de cette écorce . S’agissant d’un produit dont l’usage est traditionnel , le brevet n’a pu être validé . Cette fois-ci , le patrimoine malgache a évité le biopiratage . Jusqu’à quand ?
C’est au coeur de la forêt primaire que la communauté villageoise distille du gingembre papillon , récolte de la maniguette fine (une épice utilisée au XVIIe siècle) et s’apprète à replanter 70 000 arbres . Enfin , au nord de Majunga , autour du village perdu de Tsianinkira , Olivier Behra vient de lancer la distillation du saro , une plante endémique aux vertus antibactériennes . Précisons qu’un alambic coûte 3 000 euros et qu’il représente une activité génératrice de revenus pour 50 personnes , soit 15 famolles environ . Une manne pour le région .
Barbara Mathevon est un autre membre actif de l’ONG L’Homme et l’environnement . C’est à Vohibola , sur une pirogue chargée de 144 cocotiers , 30 corossoliers et 400 boutures d’ananas Victoria , qu’émerge sa gracieuse sihouette . Elle achève la traversée épique du canal des Pangalanes . Six heures de navigation depuis Tamatave . Cette environnementaliste de 29 ans gère depuis 2005 le reboisement et la production d’huiles essentielles sur la réserve de Vohibola , le second programme de l’ONG . L’ultime forêt littorale de 700 hectares menace de disparaître sous la poussée dévastatrice des trafiquants de bois . Depuis le village d’Andranokoditra (350 habitants) , Barbara Mathevon arpente la forêt . Elle inspecte les plantes agrestes , se faufile dans des canaux étriqués bordés d’oreilles d’éléphant et de pandanus . Ici , les pêcheurs sont aussi collecteurs , distillateurs de niaouli , et producteurs de Calophyllum , une huile cicatrisante , antidiabétique , que les Américains utilisent en trithérapie . Pour cette jeune femme , les plantes représentent des réserves moléculaires d’une valeur inestimable pour l’humanité . C’est pour cela qu’elle se bat contre la déforestation , << l'une des plus alarmantes dans le monde tropical >> , et les feux de brousse qui menacent de disparition l’Aloe vaombe . Cette plante -stimulant immunitaire efficace contre le sida et l’hépatite-ne se développe que dans cette région du monde . Idem pour le ravintsara ou la fameuse pervenche , utilisée contre la leucémie et le cancer , et dont l’avenir reste fragile .
Plus que jamais , l’île Rouge est menacée dans sa biodiversité . Alors que nous avons encore beaucoup à apprendre des trésors végétaux qu’elle recèle , certaines espèces menacées d’extinction … si les chasseurs de fleurs ne nous mettaient au parfum .
Cyril Le Tourneur d’Ison