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La douleur de l’eau (texte de DaisyLewis)
La complainte de l’eau qui meurt sans l’amour des Hommes.
Il fut un temps où les hommes m’aimaient. Ils me désiraient, me regardaient pendant des heures, s’enthousiasmaient du moindre de mes mouvements, tremblaient en me caressant et entraient en moi en conquérants farouches et fiers. Et moi, je les aimais. Je leur ai tout donné, tout ce que j’avais. Ils m’ont tout pris sans honte ni remords, me vidant peu à peu de ma substance pour ne laisser de moi que quelques traces humides sur des rives asséchées.
Pour eux, je me suis faite petite et délicate courant au coeur des montagnes, fertile et nourricière aux creux des vallons, changeante selon les saisons, mouvante selon les pays. Pour moi, ils ont inventé des dieux pour expliquer mes colères et en ont créé d’autres pour m’apaiser. Ils me priaient pour que je vienne, ils me suppliaient pour que je parte, mais ils savaient mes colères rapides et que de ma fureur renaîtrait la Terre.
Il fut un temps où les Hommes me trouvaient mystérieuse et ne pouvaient résister à mon appel. Pour eux, j’avais inventé la mer, l’océan, des êtres fabuleux, des créatures étranges et des mondes enchantés. Ils écoutaient mes sirènes, partaient à leurs poursuites, rêvant toujours plus fort de trésors immenses et de cités en or. Je les ai laissé me parcourir, tout entière offerte à leur exploration, ne leur cachant que mes plus secrètes profondeurs.
Certains ont voulu me dompter, me soumettre à leurs désirs. Ceux-là me faisaient rire et je les ai laissés se perdre et disparaître dans mes bras. Certains étaient plus tendres et savaient me murmurer des poèmes dans le creux de mon onde claire. Ceux-là me faisaient soupirer et ont obtenu de moi toutes mes faveurs et toutes mes richesses.
Ils m’ont peinte, ils m’ont chantée, ils m’ont célébrée sans trop oser s’approcher. Et puis, ils se sont enhardis. Ils m’ont déshabillée, exposée. Ils ont chassé mes créatures et les ont enfermées. Ils ont cru connaître mon monde, mais ils n’ont trouvé que le silence. Désormais, je n’ai plus de mystère pour eux. Ils pensent connaître jusqu’à la plus intime de mes équations.
Parce qu’ils me croyaient immortelle, ils ont puisé tout ce que j’ai pu leur donner. Ils ont vidé mes océans. Ils ont détournés mes rivières. Ils ont souillé mes rivages et massacré tous les êtres étonnants qui peuplaient mon royaume. Peu à peu, les Hommes ne m’ont plus vue comme la vie, l’origine de toute chose, mais comme une bouteille en plastique que l’on vide et remplit au gré des besoins. Je ,’étais plus l’amante, mais une servante. Ils m’ont négligée, délaissée, salie.
Aujourd’hui, je me recroqueville doucement, me retirant peu à peu de la surface de la Terre. Je n’ai plus la force de combattre les déserts, le Soleil ou les vents qui brûlent les Hommes. Je ne sais plus les apaiser par une pluie fine ou le murmure plaisant d’une de mes sources. Ils ne me voient plus. Ils m’oublient. Jusqu’à ce qu’un jour, ils doivent se battre pour m’avoir. Mais, ils ne le font plus par amour. Ils le font pour l’orgueil de me posséder et me vendre. Alors, je me meurs. Je meurs doucement de ne plus être aimée.
Pourtant chaque fois que l’un d’entre eux s’approche de moi, me prend doucement dans le creux de ses mains, quelque chose en moi bouillonne, ronronne et jaillit. Je l’aime tant celui qui pose ses lèvres sèches sur moi et s’abandonne aux caresses de mes fontaines. Celui qui rit en tournant son visage vers la pluie et chante en sautant dans les flaques. Je suis une vieille folle qui a l’espoir insensé de plaire encore à de jeunes amants.
Pourtant, je sais que je peux toujours les faire rêver. Je mettrai à mon pôle des aurores boréales. Je peindrai sur mes étangs mon plus bel arc-en-ciel. Je lisserai vivement la surface de mes lacs. Je libérerai les moutons argentés de la mer et j’arrangerai avec soin mon lit défait. Je leur murmurerai de nouvelles histoires pour les étourdir et qu’ils glissent à nouveau dans mes bras. J’attendrai le coucher du soleil pour tamiser doucement sa lumière et cacher un peu les rides de mes deltas. Et si cela ne suffit pas, j’irai leur dévoiler au plus profond de mes abysses, quelques nouveaux secrets pour les ensorceler.
Il y a quelque part, j’en suis certaine, un doux rêveur prêt à m’aimer. Un seul me suffira pour tout leur pardonner.
Viens, chantent mes sirènes, je t’attends.
Texte de DaisyLewis - Source : http://www.oniris.be/